Antonio Pérez-Balarezo

ArScAn-Équipe AnTET (UMR 7041), CNRS, université Paris Nanterre, France ; Fundación para los Estudios Patrimoniales del Pleistoceno de Osorno (FEPPO), Chile ; Institut français d’études andines (IFEA), Lima, Peru ; Center for American Paleolithic Research (CAPR), Hot Springs, South Dakota, USA

La préhistoire des Amériques est en perpétuel mouvement, ce qui ne signifie pas toujours un renouvellement. Les périodes les plus anciennes sont sans aucun doute l’un des sujets les plus intéressants de la préhistoire universelle. Un sujet passionnant, jeune et angoissant. Passionnant à cause du grand mystère que sous-tend toute thématique sur les « origines ». Jeune, comme l’a souligné D. Lavallée (1995), parce que la préhistoire américaine n’acquiert les rivets de science que dans la seconde moitié du XXe siècle. Angoissant enfin, car elle était, est et demeurera malheureusement une arène de préjugement : les faits subsumés au paradigme prédominant. Dans ce contexte disciplinaire que l’on pourrait qualifier de turbulent, la publication d’un volume consacré à l’archéologie pléistocène des Amériques est, en soi, un motif de célébration. People and Culture in Ice Age Americas est le dernier d’une série de contributions, dont certaines n’ont pas toujours reçu l’attention méritée parce que non rédigées en langue anglaise (par exemple Farías et Lourdeau 2014 ; Salcedo 2014 ; Vialou 2011). Il existe aussi des numéros spéciaux de revues (entre autres Delgado 2021 ; Hoguin, Franco et Flegenheimer 2019 ; Méndez, Suárez et Borrero 2018) qui ont produit un panorama plus complet au niveau spatial. Néanmoins, cet ouvrage se différencie par le pas en avant explicite en matière de chronologie des peuplements américains. Le volume se compose de 13 chapitres précédés d’une préface des éditeurs. Les cinq premiers présentent des recherches menées en Amérique du Sud. Le sixième est le seul à proposer une synthèse sur l’archéologie en Amérique centrale. Les cinq chapitres suivants portent sur des recherches menées en Amérique du Nord. Le chapitre 12, quant à lui, expose les données génétiques humaines de Sibérie et des Amériques. Enfin, le dernier chapitre rapporte les commentaires de Tom Dillehay sur certains aspects traités dans les chapitres précédents et qui constitue, sans aucun doute, le meilleur compte-rendu non officiel de l’ouvrage. Le chapitre 1, écrit par Fabiana Martin, Dominique Todisco, Joel Rodet, Francisco Prevosti, Manuel San Román, Flavia Morello, Charles Stern et Luis Borrero, est consacré aux résultats de nouvelles fouilles et analyses taphonomiques réalisées sur le site de Cueva del Medio, en Patagonie chilienne. Les auteurs discutent les interprétations antérieures, notamment en ce qui concerne les aspects géoarchéologiques et chronologiques. Concernant la chronologie, ils soulignent que l’occupation du site date entre » 10 800 et 10 400 BP (obtenues à partir de charbons et d’os). Selon les auteurs, le signal archéologique pléistocène du site est fort. Il comprend des pointes de projectile et d’autres matériaux lithiques, ainsi que des foyers en fosse et des os de faune éteinte, au moins l’un d’entre eux a des marques de découpe. Malheureusement, les auteurs notent qu’ils n’ont pas les moyens d’établir une liste précise des outils et des os associés aux occupations du Pléistocène et de la fin de l’Holocène. Ils précisent enfin que les restes de Mylodon (datés de 13 700 BP) ont été déposés avant l’arrivée des humains. La présence de certains os s’explique par ailleurs par les activités des carnivores et non pas des humains. Dans le chapitre 2, Nora Franco et Lucas Vetrisano cherchent à comprendre les stratégies d’utilisation des matières premières lithiques et leurs évolutions au cours des phases initiales des premiers groupes humains à l’extrémité sud du Macizo del Deseado (Patagonie argentine), en particulier dans la zone de La Gruta pendant la transition Pléistocène-Holocène. Les résultats rendent compte à la fois de la prospection géoarchéologique et des fouilles récentes sur des sites tels que La Gruta 1, 2 et 3. Outre la découverte de trois préformes bifaciales en surface près de La Gruta 1, dont une correspond à une pointe en queue de poisson, tous les sites étudiés ont mis en évidence des séquences sédimentaires courtes, avec des dates radiocarbone légèrement chevauchantes entre 10 800 BP et 9 000 BP. Ce fait cumulé à d’autres favorise, d’après les auteurs, une occupation discontinue du site, probablement due à l’imprévisibilité de la ressource en eau. Les auteurs suggèrent que La Gruta 1 était un site logistique et que les humains ayant occupé cette région venaient probablement de territoires au nord, où il y a des preuves plus anciennes de la présence humaine. Le chapitre 3, de César Méndez, Amalia Nuevo Delaunay, Omar Reyes, Antonio Maldonado et Juan-Luis García, aborde les questions liées aux premiers registres archéologiques du centre-ouest de la Patagonie, essentiellement composés de matériels de surface situés dans des sites à ciel ouvert. Afin de résoudre ces problèmes, les auteurs présentent les résultats de leurs recherches récentes dans la région continentale du nord de l’Aisén (Chili). Ces recherches ont mis en place un protocole méthodologique orienté vers la reconnaissance des paysages et des sites de plein air datés de la transition Pléistocène-Holocène. Ce protocole combine l’approche paléoécologique et géomorphologique, la prospection et le sondage stratigraphique à une échelle micro (site), méso (bassins fluviaux et modelés) et mésorégional. En ce qui concerne l’échelle mésorégionale (bassin supérieur du fleuve Ñirehuao), 17 sites ont été enregistrés, en plus de la découverte d’une pointe en queue de poisson sur roche siliceuse. À l’échelle mésolocale, la zone de Pampa Coichel (~ 4 km2) contient 43 loci avec du matériel archéologique. Finalement, la microéchelle a été abordée à partir des sites El Deshielo et Vega Coichel. Sur les deux sites, les dates obtenues correspondent à l’Holocène ancien et moyen. Les auteurs concluent que la typologie est décrite comme un point de départ et non comme un point d’arrivée. Le plus grand mérite de ce chapitre est d’exposer une méthodologie capable d’identifier les différentes utilisations des paysages dans une même région, allant bien entendu au-delà des grottes et des abris sous roche. Rafael Suárez discute, au chapitre 4, les données archéologiques des premières occupations humaines dans les plaines de l’Uruguay, dans le contexte des premiers peuplements du cône sud de l’Amérique du Sud entre 18 000 et 15 000 cal BP. D’après lui, seuls Monte Verde (Chili) et Arroyo Seco 2 (Argentine) témoignent d’un peuplement depuis la fin du dernier maximum glaciaire (DMG). À l’inverse, d’autres considèrent comme valide le registre pré-DMG du site Arroyo del Vizcaíno (Uruguay) rapportées par Fariña et al. (2014). Lors de la transition Pléistocène-Holocène, une « tradition » bifaciale de pointes pédonculées a émergé dans les pâturages naturels uruguayens. Cette tradition est composée de trois technocomplexes représentés par les groupes produisant des pointes en queue de poisson, Tigre et Pay Paso. Les premiers groupes correspondent aux dits Fishtail groups (entre 12 900-12 200 cal BP). Après 12 200 cal BP, la Fishtail technology est remplacée par la Tigre technology, dans un contexte de changement rapide des ressources climatiques, écologiques et fauniques. Enfin, les groupes Pay Paso ont émergé dans la région du fleuve Uruguay, fabriquant un type de pointe du même nom entre 11 000 et 10 000 cal BP. L’auteur conclut que l’on en sait encore très peu sur les relations et les connexions possibles de ces groupes avec d’autres contemporains en Amérique du Sud. Pour la période autour et avant 15 000 cal BP, il signale l’existence de petites populations porteuses d’une « unsophisticated flaked technology » (p. 62) et pratiquant une économie de type forager, avec une exploitation de différents écosystèmes. Dans le chapitre 5, Francisco Aceituno-Bocanegra et Antonio Uriarte présentent de nouvelles informations cartographiques sur l’expansion et l’occupation du nord-ouest de l’Amérique du Sud, entre la fin du Pléistocène et le début de l’Holocène. Le registre archéologique post-11 000 BP en Colombie – étendu et diversifié – permet aux auteurs d’émettre des hypothèses de dispersion humaine dans l’espace, à travers la modélisation des voies de communication entre les régions. Les auteurs proposent un modèle de dispersion de déplacement multidirectionnel par petits groupes avec des économies à large spectre. Pour le contraster, ils intègrent les informations de 41 sites de la région andine colombienne dans un SIG « analyse surface-coût » et un modèle pour l’accumulation du déplacement optimal à partir d’une origine (MADO). Ils extrapolent ensuite les voies de pénétration éventuelles ou les corridors naturels de l’isthme de Panama à l’Amérique du Sud en passant par la région du nord-ouest. À l’échelle interrégionale, la carte de densité a permis d’observer cinq voies de pénétration possibles : deux à la fin du Pléistocène et trois au début de l’Holocène. Les auteurs soulignent enfin l’existence bien connue mais controversée de quatre sites pré-11 000 BP en Colombie – Pubenza 3, El Jordán, El Abra II et Tibitó – et valident leurs dates (entre 12 000 y 16 000 BP). Le chapitre 6, écrit par Guillermo Acosta-Ochoa, Patricia Pérez-Martínez et Ximena Ulloa-Montemayor, est une évaluation critique de l’état des connaissances sur les occupations humaines à la fin du Pléistocène et au début de l’Holocène dans le sud du Mexique et en Amérique centrale. Ce chapitre doit être lu à la lumière des nouvelles contributions publiées dans le volume Preceramic Mesoamerica édité par Lohse, Borejsza et Joyce (2021), et de l’article de Somerville, Casar et Arroyo-Cabrales (2021), sur une occupation possible du Pléistocène pré-DMG dans la vallée de Tehuacán (Puebla, Mexique). Ainsi, les auteurs passent en revue les « traditions » lithiques en Amérique centrale et considèrent le sud-est du Mexique comme une zone où les traditions technologiques Clovis (Amérique du Nord) et pointe en queue de poisson (Amérique du Sud) se seraient retrouvées, mais à une période plus tardive (début de l’Holocène) que celle correspondant à leurs lieux d’origine. Ils concluent en opposant, dans le contexte de l’Amérique centrale, deux visions distinctes des vestiges archéologiques. D’une part, une vision stéréotypée qui observe des traditions de pointe cannelées avec des « artefacts diagnostiques » et un moyen de subsistance fortement dépendant de la chasse. D’autre part, la vision d’une mosaïque de cultures archéologiques avec différents modes de subsistance et différentes « expedite technologies » (p. 103). Finalement, les auteurs évoquent les nouvelles perspectives qui tendent vers une écologie des objets, plutôt que de simples typologies morphologiques. Dans le chapitre 7, Ciprian Ardelean, Joaquín Arroyo-Cabrales, Jean-Luc Schwenninger, Juan Macías-Quintero, Jennifer Watling et Mónica Ponce-González s’attellent à un double exercice : ils décrivent les découvertes de la grotte du Chiquihuite et les placent dans le contexte épistémologique des paradigmes passés et présents dans la préhistoire du Mexique. Les dernières publications sur cette grotte ont apporté des informations supplémentaires sur ce site (voir Ardelean et al. 2020 ; Becerra-Valdivia et Higham 2020). Les auteurs promeuvent l’adoption d’une épistémologie fallibiliste (p. 110), qui permet à l’archéologue d’être conscient que l’information produite peut être erronée et que, par conséquent, elle doit garder le statut d’hypothèse de travail. Ainsi, la grotte du Chiquihuite constituerait un exemple pour l’exercice d’une épistémologie fallibiliste du fait de sa chronologie culturelle pré-DMG (~ 27 000 cal BP). Compte tenu des preuves présentées, les auteurs considèrent que « No conclusions at all can be reached after only one test pit » (p. 127). Cependant, ce scepticisme ne les conduit pas à un rejet absolu des preuves, car ils considèrent que « there are facts that cannot be denied » (p. 127), comme le fait que tous les objets apparaissent au même niveau, l’absence d’intrusions, la présence d’os de microfaune, de phytolithes brûlés et la correspondance entre les datations 14C et OSL. Au chapitre 8, Thomas Williams, Nancy Velchoff, Michael Collins et Bruce Bradley présentent l’analyse technologique d’un petit échantillon du Gault Assemblage, correspondant à la première composante culturelle (stratigraphiquement sous la composante Clovis) de la zone 15 du site Gault (Texas central, États-Unis). L’analyse a révélé des similitudes et des différences entre les assemblages Gault et Clovis sur le site, ce qui a permis d’étudier leurs relations au niveau intra et intersite. L’assemblage Gault est daté par OSL entre 20 000 et 16 000 BP et il est composé de pièces bifaciales principalement sur chert local. En ce qui concerne la technologie laminaire, entre autres éléments, l’exploitation de nucléus laminaires unidirectionnels à dos plat est observée. Les auteurs évoquent la possibilité d’une continuité de cette technologie laminaire au sein de l’assemblage Clovis, ce qui pourrait signifier un ancêtre technologique commun. La perspective résolument non-Clovis des auteurs est intéressante, car cela les amène à situer le phénomène Clovis au sein d’autres phénomènes. Ainsi, Clovis aurait pu représenter soit une vague colonisatrice qui se propage dans des régions de l’Amérique du Nord et en Amérique du Sud, soit la diffusion d’un concept technologique entre des groupes contemporains. Finalement, citons l’affirmation finale du chapitre : « As evidence of cultures predating Clovis became more acceptable, researchers in North America can learn much from their South American counterparts and consider viewing the earliest human occupations of all the Americas without Clovis-tinted spectacles » (p. 150). En tant que sud-américain, connaisseur de la littérature sud-américaine et du travail de collègues, je ne peux qu’être entièrement d’accord. Le chapitre 9, écrit par Ashley Lemke et John O’Shea, résume des découvertes archéologiques et paléoenvironnementales issues de leurs recherches sur le Alpena-Amberley Ridge (AAR), un accident géographique immergé qui s’étend sur tout le bassin du lac Huron et qui était terre ferme il y a 9 000 ans. Plusieurs sites archéologiques (tels que Funnel, Drop 45), attribuables à la période paléoindienne récente de l’Amérique du Nord, ont été identifiés, en plus de 73 structures de chasse de caribou construites en pierre au fond du lac. À cela s’ajoutent la découverte de 18 artefacts lithiques (17 éclats sur et un racloir unguiforme sur chert) et un reste de faune (un fragment de dent, probablement du caribou). Les auteurs notent que l’AAR a agi comme un refuge climatique où la faune et la flore de la période glaciaire ont persisté jusqu’à l’Holocène. Ce corridor aurait canalisé les déplacements des caribous lors de leurs migrations semestrielles et donc offert un emplacement idéal pour la chasse stratégique d’interception. Concernant le mode de vie paléoindien dans l’AAR, un modèle de mobilité saisonnière et d’agrégation est proposé. Selon ce modèle, l’occupation paléoindienne récente de l’AAR ressemble aux modèles traditionnels des premiers occupants en tant que petits groupes de chasseurs-cueilleurs mobiles adaptés à la période glaciaire, chassant de gros gibiers. Dans le chapitre 10, James Adovasio et David Pedler dévoilent une synthèse critique des registres pré-Clovis en Amérique du Nord, jetant les bases d’une « new full-color reality » (p. 179) des premières populations nord-américaines. Ils caractérisent le phénomène Clovis First comme un modèle andro-litho-centrique devenu paradigme : « too tidy theories turned gospel writ » (p. 172). Parmi les sites étudiés par les auteurs, on retrouve le Meadowcroft Rockshelter (19 600 ± 2 400 BP), Cactus Hill (16 940 ± 50 BP), Schaefer et Hebior, Page-Ladson (12 940 ± 70 BP), Wakulla Springs (probablement pré-Clovis), Miles Point (entre 25 000 et 18 000 BP), le complexe Buttermilk Creek et, enfin, le complexe de Paisley Caves dont les niveaux pré-Clovis contiennent les plus anciennes datations pour les pointes de la Western Stemmed Tradition. Ces pointes indiqueraient clairement l’existence d’une technologie lithique péné-contemporaine, non-Clovis et non descendante de cette dernière tradition. Les plus anciens des 28 coprolithes retrouvés dans le complexe sont datés à 12 400 ± 60 BP. Malgré les critiques, les auteurs considèrent que ces coprolites sont humains. Pour conclure, ils discutent les données existantes en pointant quelques critères qui semblent définir certaines des populations older-than-Clovis en Amérique du Nord, comme la cooccurrence de pointes de projectile lancéolées et subtriangulaires sans cannelures, celle de foragers à large spectre et de chasseurs de proies plus grosses, et la dépendance à une « technologie non durable » (par exemple vannerie, industrie osseuse), entre autres. Dans le contexte des interrogations sur le comment et quand les proboscidiens ont disparu, et sur le moment et itinéraires du peuplement humain en Amérique du Nord, Michael Shott discute dans le chapitre 11 les associations entre les outils lithiques et les os de proboscidiens dans le Midwest nord-américain. L’auteur rappelle ce qui semble être un consensus sinon bien établi, du moins croissant : les vestiges paléoindiens sont cohérents avec une spécialisation de la chasse au gros gibier à certains endroits, mais plus généralement avec un mode de subsistance diversifié. De plus, l’auteur indique que les paléoindiens et les proboscidiens ont une distribution spatiale similaire en général. La date de la disparition des proboscidiens reste incertaine malgré l’existence de bases de données construites en partie à cet effet, mais il est à noter que la disparition des proboscidiens a généralement coïncidé avec l’arrivée des humains en Amérique du Nord. Par la suite, à partir d’une discussion sur les facteurs taphonomiques pouvant conduire à des interprétations erronées sur l’association entre les humains et les proboscidiens, l’auteur développe une analyse autour de la théorie d’une « surchasse » de la faune pléistocène (overkill model), en passant en revue les différents arguments pour et contre. L’auteur conclut en notant que, dans le Midwest, la plupart des associations entre les restes humains et les restes proboscidiens sont incertaines, en raison d’un mauvais échantillonnage, de très peu de gisements bien fouillés et de l’ambiguïté inhérente à l’interprétation. Au chapitre 12, Theodore Schurr expose les résultats récents d’études sur la diversité génétique des populations d’Asie du Nord-Est et des Amérindiens, à la lumière des questions propres à la préhistoire des Amériques. En ce qui concerne le lieu d’origine des ancêtres des populations amérindiennes modernes, les preuves génétiques disponibles indiquent que les lignées génétiques les plus similaires ont émergé et sont présentes dans la région de l’Altaï-Sayan. Sur la synchronisation et le nombre de migrations, l’auteur résume le scénario dit « Isolement Béringien » (Beringian Standstill hypothesis), qui suggère que les anciennes populations asiatiques ont vécu dans la région de la Béringie pendant des milliers d’années (entre 25 000 et 18 000 BP) et ont commencé à se différencier génétiquement de leurs ancêtres asiatiques, en devenant des « Beringiens ». Il est également souligné qu’il y a plus de 15 000 ans, un schéma complexe formé par les lignées maternelles à l’intérieur de l’Amérique du Nord a pu impulser plusieurs migrations. Cependant, il est difficile de savoir à ce jour si les lignées fondamentales de l’ADNmt (génome mitochondrial) représentent une seule population fondatrice génétiquement complexe ou plusieurs populations fondatrices, même avec l’avènement des études génomiques. Sur l’ancienneté des lignées génétiques, T. Schurr rappelle que les deux grandes lignées Q ont émergé lors du DMG, avant l’émergence de la culture Clovis en Amérique du Nord. Il est finalement à noter, d’après l’auteur, que la plupart des données génétiques soutiennent une expansion importante et unique dans les Amériques. Après le peuplement initial, une complexité croissante des lignées fondatrices est observée dans les Amériques, résultant peut-être de plusieurs « flux » de population vers les Amériques. Pour clore le volume, Tom Dillehay développe une réflexion générale et une analyse critique des chapitres précédents en ciblant certaines thématiques telles que les problèmes d’échantillonnage, les adaptations spécifiques aux habitats et aux ressources, la diversité culturelle, les pointes de projectile et les lacunes thématiques. Sur le sujet de la diversité culturelle, T. Dillehay remarque qu’il y a de plus en plus de preuves d’une mosaïque complexe de technologies et de cultures diverses dans les Amériques au moins à partir de 12 500 cal BP, avec une période antérieure composée par des « systèmes technologiques et outils oubliés » (p. 253) pré-Clovis. La section qui traite du « typological cross-dating » des pointes de projectiles – un problème dominant dans la plupart des chapitres du livre – est particulièrement intéressante car rarement traité en profondeur dans la préhistoire américaniste. D’autre part, T. Dillehay propose le terme « Paléoaméricain » comme celui exprimant le mieux les économies à large spectre qui étaient pratiquées dans de nombreuses régions à la fin du Pléistocène. Enfin, il insiste sur la nécessité de sortir du débat fastidieux entre Clovis et pré-Clovis, pour poser de nouvelles questions. Globalement, People and Culture in Ice Age Americas reflète bien le moment de transition que traverse actuellement la préhistoire ancienne des Amériques en tant que discipline. En d’autres termes, si les théories trop ordonnées (too-tidy theories) auxquelles Adovasio et Pedler (chapitre 10) se réfèrent se font encore sentir dans les agendas de recherche des trois Amériques, un scénario moins simple (less simple) et de plus en plus complexe commence à se dessiner en termes de diversité technologique et culturelle. Hormis cela, il est clair que si les progrès sont énormes, le niveau de nos questions doit encore beaucoup s’améliorer. Cela n’arrivera pas tant qu’une épistémologie (un terme utilisé une seule fois dans tout le livre) solide, globale, ouverte et bien sûr fallibiliste (chapitre 7) sera établie comme base de toute construction de la connaissance archéologique du pléistocène des Amériques. Le volume examiné ici est la preuve que la préhistoire des Amériques contient plusieurs épistèmes et donc plusieurs épistémologies. Il s’agit d’un problème qui va au-delà des méthodologies et des terminologies régionalistes. Il faut dépasser notre « monroisme » épistémologique. Peut-on penser les Amériques en dehors de la préhistoire universelle ? À quel point la préhistoire des Amériques est-elle extra-ordinaire ? Un signe que nous sommes encore très loin de cette épistémologie est aussi l’oubli de la consigne « Nuestro norte es el Sur », énoncée par le peintre uruguayen Joaquín Torres-García, quand il expliquait la signification de son dessin intitulé « América invertida » (Torres-García 1984, p. 193). La référence à Torres-García est explicite dans la préface de People and Culture in Ice Age Americas. Néanmoins, son évocation est superficielle puisque dans le volume édité, le sud, même présenté de manière inversée, continue d’être le sud par rapport au nord. Espérons que dans les années à venir, nous pourrons vraiment concrétiser le projet de Torres-García d’une appréhension du Sud (en majuscule), à partir de sa propre singularité, c’est-à-dire le sud comme le Sud. Le renversement des pôles épistémiques sera sans nul doute quelque chose de bénéfique pour les trois Amériques.

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